La Dame de la rue des Messieurs by Jean Lemieux

La Dame de la rue des Messieurs by Jean Lemieux

Auteur:Jean Lemieux [Lemieux, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Littérature québécoise
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2022-03-18T15:15:53+00:00


16.

Le 30 octobre 1967, Michèle, de retour de Vincent-­d’Indy, marche sur les trottoirs bordés de feuilles mortes quand elle tombe sur le spectacle qui la hantera pendant des mois : deux ambulanciers descendant un lourd brancard dans l’escalier tournant. Rachel est dans le sac noir. Michèle le devine instantanément, à trente mètres de distance. Elle court pendant quelques secondes, puis reprend sa marche, envahie par la sensation d’être à l’extérieur d’elle-­même. C’est bien elle, Michèle Dagenais, quinze ans, qui met un pied devant l’autre sous les yeux de tout le voisinage, arrive au pied de l’escalier, s’efface devant le brancard déposé sur l’asphalte, reconnaît dans l’enveloppe la silhouette massive de sa mère. C’est bien elle, la petite Dagenais qui joue tellement bien du piano c’est pas croyable, qui ne pleure pas, ne crie pas, demeure sans voix, comme un zombi, pendant que les ambulanciers embarquent le corps dans l’ambulance. C’est bien elle qui se laisse avaler par les bras de son frère, mais c’est déjà aussi quelqu’un d’autre.

— Qu’est-­ce qui est arrivé ? demande-­t-­elle.

— Docteur Archambault dit que c’est le cœur.

Quand l’ambulance est partie, Michèle monte l’escalier et va droit à l’armoire de médicaments. Ceux de Rachel, les cinq flacons, ceux pour le cœur, ceux pour les nerfs, ont disparu.

Sans connaître la cause de la mort de sa mère, Michèle refuse de l’attribuer à sa valve défectueuse ou au fameux cœur de Vanier. Rachel obèse qui prenait tous les jours le métro pour se rendre à l’Expo 67 n’était pas une femme heureuse, mais un être qui souffrait. Les mets exotiques dont elle se gavait servaient, comme ses anxiolytiques ou ses somnifères, à combler son manque. Cette crevasse dans sa tête était-­elle plus profonde depuis la mort d’Eugénie l’hiver précédent ? Rachel craignait-­elle d’avoir reçu le témoin de cette triste course à relais ? Redoutait-­elle de se retrouver seule face à Conrad après le départ inévitable de ses deux adolescents ? Les bruits d’accouplement se faisaient beaucoup plus rares dans la chambre à côté. Rachel cherchait-­elle à éloigner Conrad en se bardant de graisse ? Conrad s’absentait, rentrait souvent tard de son travail. Rachel avait-­elle perçu les odeurs d’autres femmes sur sa personne, sur ses vêtements ?

Face à l’armoire de médicaments vide, Michèle, quinze ans, tire cette conclusion doublement dramatique : elle a pressenti l’événement et ne l’a pas prévenu. Sa mère s’est suicidée et c’est sa faute. Son frère Robert soutient la version de Conrad et du Dr Archambault : Rachel est morte d’une cause naturelle. Le médecin a escamoté ses médicaments pour une question d’assurances.

Michèle n’est pas convaincue.

Le Dr Lucien Archambault est un praticien respecté. Peut-­être a-­t-­il des contacts dans les hiérarchies médicale ou judiciaire. Le cœur de la morte, avec sa valve mitrale finie, est le coupable désigné. Il n’y a pas d’autopsie, d’enquête du coroner. Rachel, selon ses vœux, est enterrée cinq jours plus tard à Terrebonne, dans le lot des Vanier.



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